Mais, au port de Carcé, celui de l'enfance d'Éliane et Maryannick n'est plus qu'un souvenir.
Photo de la mine en 1931. Le chevalement sera démonté en 1961.
L'eau bleue
« Près de la chapelle, pas très loin des bâtiments de la mine, il y avait ce que nous appelions "la piscine". C'était une retenue d'eau, dans un bassin avec des murs assez hauts, peut être un mètre à un mètre cinquante, éboulés par endroits, qui faisait penser à une piscine car elle devait bien faire une trentaine de mètres carrés. Pourtant il ne fallait pas y tremper les orteils, car je crois que l'eau, qui était d'un bleu soutenu, sombre, avec une forte odeur de soufre, nous aurait certainement brûlées. Pour nous dissuader de nous approcher et de nous y baigner, il circulait une légende. Il y aurait eu des cadavres humains dans le bassin. Cela avait pour effet de nous inciter à regarder, en faisant attention de ne pas tomber, et de ne pas nous faire surprendre par un adulte. Nous espérions voir des os, un crâne, ou quelque chose qui aurait conforté cette histoire qui nous faisait quand même un peu peur.
En fait de cadavres, je pense qu'il devait s'agir de pauvres animaux, chiens, chats ou renards, tombés dans le bassin et qui s'y seraient noyés, ne pouvant reprendre pied à cause des murs. »
(Texte d'Éliane et Maryannick Drouin - 2002)
Un dernier terrain bleu, rémanence de l'activité industrielle, est encore visible aux abords du puits des Députés.
La terre bleue
« Il y avait aussi un terrain que l'on appelait bleu, car il se trouve que c'était la couleur de ce terrain. Il y avait deux ou trois gros rochers, dont l'un d'eux avait des creux qui ressemblaient à des marches d'escalier. Ma sœur disait, quand nous allions à la pêche avec nos parents dans la Seiche toute proche, que c'était sa maison.
Sur ce terrain, assez vaste malgré tout, l'herbe ne poussait guère ; c'était de l'herbe rare et rase. Il y avait aussi une forte odeur de soufre. Au bord de la rivière, une barque s'était échouée là depuis la dernière guerre, du temps où les Allemands avaient vainement essayé de faire revivre la mine.
Un ruisseau qui se jetait dans la rivière était enjambé par un pont de bois, et des roseaux poussaient le long des rives, plus grands que nous, et formaient une vraie forêt, et à l'orée, une nappe de vert et un frais gazon ombragé par un grand chêne, un chemin caillouteux bordé de grandes haies, une belle rivière.
Aujourd'hui, sur le terrain il y a une grande maison, une pelouse a remplacé le gros caillou. Plus de bleu, de pont de bois, de barque, de chemin caillouteux ni de grand chêne. Seule la mémoire de quelques-uns reste. »
L'une des deux dernières grandes cheminées, en 1962, au nord de la Métairie de la Clôture. Elle sera abattue un dimanche, après la messe.
La destruction d'une des dernières cheminées
« Un jour a marqué ma mémoire. C'était un dimanche et il me semble qu'il faisait soleil. Comme toujours j'étais allée à la messe avec ma soeur et, à la sortie de l'office, tous les fidèles se dirigeaient en cortège dans la même direction. Nous allions assister à la chute d'une des dernières cheminées de la mine. Bien sûr, nous ne pouvions approcher trop près. La foule de curieux grossissait et chacun y allait de son avis, son commentaire. Puis, un nuage de fumée et un silence total se produisit.
Le nuage de fumée s'est élargi, a grossi, la cheminée vacille lentement, se penche et enfin s'effondre avec un grondement sourd, dans un nuage de fumée gris blanc épais. Et la foule qui reste là, quelque peu hébétée, et qui reprend ses esprits peu à peu. Nous sommes rentrées à la maison, en silence, ne sachant que dire, encore sous le choc de ce que nous venions de voir.
Aujourd'hui encore, cela me reste et je me dis que cela aurait été bien que survive cette cheminée, en témoignage du passé. »
Un couloir sombre semblant tout avaler
« Enfant, il m'est arrivé d'aller jouer dans la mine quelques fois. Je ne sais plus très bien où était l'entrée mais, dans ma mémoire, j'ai le souvenir d'un couloir sombre qui semblait tout avaler. Nous grimpions dans les chariots sur rails et nous entrions dans les galeries. Nous avions sur la tête des casques trouvés là et qui semblaient nous attendre afin d'éclairer nos jeux. Il y avait aussi, çà et là, de vieux outils rouillés, usés par des années d'utilisation et qui traînaient au sol. Nos jeux, c'était les cow-boys et les indiens, ou ce que nous appelions "la petite guerre". La configuration des lieux nous permettait des heures et des heures d'amusement, au risque de ne plus voir l'heure passer ni le danger d'effondrement, de glissades ou tout simplement de se perdre dans les quelques galeries encore accessibles. En effet, la plupart du réseau était noyé sous les eaux. L'eau qui suintait des murs ou qui gouttait dans les galeries, comme le temps qui passe, me revient en mémoire.
Pour nous, les enfants, c'était un lieu de jeu sans conscience du danger que nous courrions, alors que ces galeries avaient été témoins de tant de peine, de douleur et d'épuisement durant l'exploitation de la mine. »
D'énormes structures métalliques
« Imaginez un grand bâtiment couleur brique avec, derrière, d'énormes structures métalliques en forme de grandes jambes, avec des roues, des treuils, des poulies et des chaînes. Cela pouvait être effrayant quand il y avait du vent car le grincement des chaînes et des poulies rouillées, qui gémissaient, faisait froid dans le dos. C'était encore pire la nuit.
Il y avait aussi, me semble-t-il, deux cheminées rondes, hautes, couleur brique elles aussi, l'une près des bâtiments, l'autre un peu plus loin.
C'est ce que l'on voyait lorsque l'on arrivait près de la mine. »
Éliane Drouin a grandi dans la "cité" de Pont-Péan. Avec sa sœur Maryannick, elle se souvient de la mine de son enfance, peu après l'arrêt définitif de toute activité.
La mine au tournant des années soixante