Des messes et un banquet
"La Sainte-Barbe […] est toujours célébrée à Pont-Péan le 4 décembre. Elle n’est jamais renvoyée au dimanche suivant et tous les travaux sont arrêtés ce jour-là ; les bureaux et les ateliers sont également fermés. La direction fait célébrer des messes dans les cinq paroisses de Bruz, de Saint-Erblon, d’Orgères, de Laillé et de Chartres, les galeries de la mine s’étendant au dessous de ces communes [confusion avec le bassin d'emploi ? aucune galerie n'a jamais été ouverte hors du sous-sol de Bruz et de Saint-Erblon] et des ouvriers demeurant dans chacune d’elles. Toutefois les galeries actuellement en exploitation ne se trouvant plus que sous Bruz et Saint-Erblon, c’est là où, alternativement, a lieu la fête officielle."
"Une messe en musique y est célébrée. Le directeur, les employés, les autorités locales, les pompiers du bourg y assistent. Ils arrivent précédés de tambours et d’un drapeau et suivis d’une grande quantité d’ouvriers."
"Le curé de la paroisse, et quelquefois un prédicateur étranger, fait un sermon de circonstance. Le pain bénit est distribué aux assistants par des ouvriers désignés par leurs camarades."
"L’après-midi est consacré à des réjouissances particulières. Le soir, à la mine même, a lieu un banquet par souscription. Autrefois ce repas était suivi de danses organisées par les familles des travailleurs, mais ce dernier usage tend à disparaître."
"En 1896, la bénédiction d’une statue eut lieu à Bruz. Elle fut portée sur des brancards, par des ouvriers de la mine et ensuite descendue au fond des galeries où elle est considérée comme la protectrice des mineurs. Ceux-ci font brûler des cierges autour d’elle le jour de la fête patronale [le directeur, Léon Maudet, l’aurait emportée en quittant la mine, en 1898]."
(Jules Bois Greffier, pseudonyme d'Adolphe Orain - La Dépêche bretonne - 1899)
Une femme de légende
Barbe aurait peut-être vécu dans la province romaine de Bithynie (aujourd’hui en Turquie). Selon la légende, elle avait refusé le mariage que voulait lui imposer son père, Dioscore. Pour la punir, celui-ci l’avait enfermée dans une tour, avant de partir en voyage. À son retour, Barbe lui avait avoué qu’elle s’était convertie au christianisme. Dioscore avait alors incendié la tour mais elle avait pu s’en échapper et il l’avait dénoncée aux autorités romaines. Elle fut torturée, mais refusa toujours d’abjurer sa foi. Pour la punir, Dioscore finit par la décapiter. Il fut aussitôt frappé par la foudre et réduit en cendres.
C’est pourquoi sainte Barbe est invoquée contre le risque d’une mort subite provoquée par la foudre ou le feu. Son culte s’est largement répandu, d’abord en Orient puis en Occident. Elle a été choisie comme patronne par les artilleurs, les mineurs, les pompiers…
L’imagerie religieuse la représente avec plusieurs symboles destinés à l’identifier, ses attributs : la tour où elle aurait été enfermée, la palme des martyrs, l’épée de son exécution, un livre ouvert et parfois un calice. Mais les différentes versions de l’histoire de sainte Barbe s’appuient sur des faits légendaires et de plus son existence n’est pas avérée.
Une joyeuse animation dans le bourg…
(Le Petit Journal - Supplément du 3 décembre 1911)
La fête des mineurs de 1902 revêt à Pont-Péan un caractère particulier, dans un contexte de guerre ouverte entre l'Église et la République. Au mois de mai, la gauche a remporté les élections législatives. Le 7 juin, Émile Combes a été nommé président du Conseil, ministre de l'Intérieur et des Cultes. Il mène depuis une politique anticléricale qui va conduire, en 1905, à la loi de séparation des Églises et de l'État. Sa volonté de restreindre l'influence des congrégations sur l'enseignement divise le pays. Les tenants républicains de la laïcité se réjouissent, les catholiques traditionnels fustigent le gouvernement. En Bretagne, une résistance populaire à la loi s'organise dans de nombreuses communes, orchestrée par le clergé et des élus conservateurs.
L'Ouest-Éclair, qui ne s'était jamais intéressé auparavant aux festivités de la Sainte-Barbe à Pont-Péan, leur consacre cette fois un grand article. Dans son édition du 6 décembre, le quotidien rennais relate la fête des mineurs et sa cérémonie religieuse, durant laquelle le chanoine Game vante les "services rendus par l'Église à la cause populaire" et exhorte les ouvriers à se coaliser pour défendre la religion.
4 décembre 1902 : la fête des mineurs à l'heure des querelles religieuses
"À neuf heures et demie, un cortège imposant part de la mine, précédé de clairons et de tambours pour se rendre à l'église de Bruz. En tête marche M. Gollion, ingénieur, directeur des mines de Pontpéan, escorté de ses chefs de services et de M. le docteur Denis, médecin de la Société ; puis vient une longue file de mineurs et d'ouvriers."
"À l'église, le spectacle de ces 1.200 travailleurs chantant à l'unisson le Credo est d'une grandeur sublime. Le temple est trop petit pour contenir les trois mille personnes qui ont voulu prendre part à cette belle fête ouvrière. M. le chanoine Game, curé-doyen de l'église Toussaints, à Rennes, monte en chaire… et montre que contrairement aux théories de certains esprits forts, la religion est nécessaire au bien du peuple… M. Game termine par une éloquente péroraison en engageant les ouvriers chrétiens à se grouper pour défendre, dans leur intérêt même, la religion attaquée de tous côtés. Il est plus de midi quand prend fin la cérémonie religieuse."
"De retour à Pontpéan, où l'on revient par petits groupes, en commentant le discours… on se réunit dans les différentes auberges du bourg et l'on prend part à des agapes fraternelles… Bientôt l'on fait retour au village, et après une excellente après-midi la fête se prolonge fort avant dans la nuit. Chaque maison du village reçoit à son tour tous les mineurs voisins : une année c'est ici, l'année suivante ce sera dans une autre maison."
"La gaieté la plus vive, la plus fraternelle ne cesse de régner, c'est une vraie, réconfortante fête de famille, où chacun se sent heureux, y oublie pour un instant les tristesses et les soucis de la vie, et dont on emportera un excellent souvenir. Il faut ajouter que sur le livret de caisse d'épargne de chaque ouvrier a été portée la gratification annuelle, don de la société…"
(L'Ouest-Éclair - 6 décembre 1902)
La fête de la Sainte-Barbe à Pont-Péan
Un amalgame de croyances et de superstitions
"À Pont-Péan, quand on ne descendait pas par les cages, les ouvriers se signaient et se recommandaient à sainte Barbe […] La veille de la Sainte-Barbe, en Bretagne, les mineurs se groupent et vont planter un laurier à la porte de leurs chefs, et se rendent chez les autorités locales au son des clarinettes, des violons et des clairons. Le dernier poste du fond reçoit de la société des chandelles, une par ouvrier ; elles sont allumées au départ du poste dans les chantiers où ils travaillent ; à la rentrée, qui n'a lieu que deux jours après, on marche à pas de loup pour observer si les chandelles ont bien brûlé et c'est une grande joie si tout est consumé dans le chantier. Si par hasard une chandelle s'est éteinte, — chacune d'elles est attribuée à un mineur désigné, — lorsque le mineur est d'un autre poste, on le lui cache, et les camarades en sont désolés pour lui, car c'est le présage d'un accident qui doit lui arriver dans l'année. Les camarades de mineurs morts de maladies et d'accidents disaient qu'il fallait s'y attendre, car la bougie n'avait pas brûlé à la Sainte-Barbe."
(Paul Sébillot - Les travaux publics et les mines dans les traditions et les superstitions de tous les pays - 1894)
"Des instruments de musique précèdent le cortège. Quand les gâteaux ont été bénis, l'ingénieur est reconduit chez lui, et le soir les ouvriers viennent le prendre pour lui faire les honneurs d'un dîner à la gargote la plus confortable. (Les Français peints par eux-mêmes, t. I, p. 346)."
(Paul Sébillot - Revue des traditions populaires - 1890)
Une fête religieuse chômée
"Comme les artilleurs, les mineurs ont une fête qu'ils chôment religieusement : c'est la Sainte-Barbe. S'ils travaillaient ce jour-là, ils seraient persuadés qu'un malheur va leur arriver. C'est une réjouissance générale. Dès la veille, des salves de coups de mine à forte charge annoncent avec fracas la fête du lendemain. Deux énormes gâteaux ronds et plats sont commandés : l'un pour le curé, qui les bénit à une messe où tous viennent assister avec recueillement ; l'autre pour l'ingénieur, qui les remercie de cette galanterie par un pourboire."
"Les gâteaux s'avancent à l'église après avoir parcouru le village, l'ingénieur en tête de sa compagnie, et portés sur une espèce de civière en noyer verni, où flottent des nuages de rubans et de fleurs artificielles."
1903 : la dernière grande fête des mineurs
"Jeudi soir [3 décembre 1903], vers sept heures du soir, de bruyantes détonations à la mine de Pontpéan avaient annoncé aux alentours la réjouissance du lendemain. Une heure plus tard, l'ascenseur remontait le poste et tout travail était suspendu."
"Officiellement, c'est à Saint-Erblon qu'était fixée cette année la cérémonie religieuse, et vendredi, l'éminent directeur de la société [Maurice Jeantet], des employés de tout ordre, les mineurs et leurs familles, en tout plus d'un millier, prenaient place à l'église. Il en était venu d'Orgères, de Châtillon et jusque de Chartres. Bruz et Laillé avaient organisé des fêtes spéciales."
"Au cours de la messe, un magistral discours a été prononcé par M. l'abbé Moutreux, vicaire à Bruz… Après avoir félicité directeur, employés et ouvriers, de l'exemple qu'ils ne craignaient pas de montrer, il a montré comment le christianisme avait arraché l'ouvrier à l'esclavage antique, pour en faire un homme honorable et respectable, à l'égal du plus riche et du plus puissant…"
"Après la messe, toute l'après-midi et longtemps dans la soirée, le bourg de Saint-Erblon s'est rempli d'une joyeuse animation. À quatre heures, clairons et tambours, l'air crâne, comme il sied à d'anciens soldats, ont repris la route de la mine…"
(L'Ouest-Éclair - 6 décembre 1903)