Nuit du 27 au 28 mai : un brouillard inquiétant
"Nous ne dormons plus. En hâte un abri fut creusé (avec quelles peines !) près du champ qui longe le parc. Nous y travaillions tous à tour de rôle, il fut bientôt fini et recouvert de poutres, de planches, fagots et terre. Il est juste suffisant pour nous abriter tous avec les Portal, soit seize personnes.
Depuis le bombardement de Bruz nous sommes survolés matin et soir d'avions anglais. Comme il n'y a plus d'électricité les alertes sont sonnées par huit coups de canon. Vendredi nous goûtions chez des amis quand une quinzaine d'anglais vinrent en piqué démolir les postes de D.C.A. de Saint-Jacques. Nous aurions dû nous méfier car cette nuit nous fûmes réveillés en sursaut par le roulement continu de vagues qui passaient (il est passé, nous l'avons su après, 500 forteresses, imagine-toi le bruit). Habillés à la hâte, nous prîmes chacun un vêtement, une petite valise ou autre et nous nous sommes précipités dans l'abri. Alors nouveau bombardement effrayant de Saint-Jacques et d'autres camps et dépôts de munitions des environs. Le ciel était illuminé par les incendies. Malgré l'épaisseur que nous avions sur la tête nous entendions bien. Une demi-heure après tout était fini. Mais en sortant de l'abri on ne voyait plus clair : un brouillard épais, avec une odeur de poudre brûlée, phosphore... Nous rentrons en courant, trébuchant. On ne voyait plus rien alors que la nuit était si claire. Nous espérions trouver de l'air plus pur dans la maison, mais malheureusement nous avions ouvert la fenêtre et ce brouillard mystérieux s'était insinué partout. Maman dit "ce sont les gaz" d'où terreur générale. Nous avions la gorge qui piquait. Me rappelant mes cours de D.P. [défense passive], nous nous sommes réfugiés dans la pièce la plus calfeutrée. Au bout de vingt minutes nous étions encore vivants. Il n'y avait plus rien à craindre. Nous nous sommes rendormis (il était quatre heures du matin). Je me demandais si jamais on se réveillerait. Enfin ce matin, le ciel était nettoyé, un beau soleil brillait, le ciel était bleu, les oiseaux chantaient, un réveil au paradis après une nuit en enfer ! Nous eûmes l'explication des fameux gaz : c'était un brouillard artificiel auquel s'étaient mêlées la poussière et la fumée des poudres et munitions qui avaient sauté. Au moment où je t'écris une fin d'alerte vient de sonner, un avion anglais tournoie toujours. Nous ignorons encore s'il y a eu des victimes civiles. Je ne crois pas. Nous voici donc ce matin ensoleillé de Pentecôte, avec un mal de tête fou et tout dérangés..."
Une bombe anglaise de 220 kg.
(Découverte à Bruz le 24 janvier 2007)
L'église de Bruz détruite.
(Photo prise par Ninette)
Nuit du 7 au 8 mai : Bruz sous les bombes
"Ma chère Thérèse,
Consolez-vous, il n'y a pas que vous qui ayez préparé une valise ! Si tu voyais les nombreux petits ballots prêts à être sortis de la maison en cas d'alerte ! C'est qu'en ce moment c'est effrayant. Je ne sais si les journaux chez toi ont parlé du bombardement de Bruz dans la nuit du 7 au 8 mai. En tout cas il ne reste plus à Bruz une maison debout et entière. Cette nuit-là nous venions de nous coucher quand les avions commencèrent à se faire entendre, puis des fusées. Nous nous levons aussitôt et attendons. Alors commence un tintamarre infernal (Bruz est à deux kilomètres en ligne droite d'ici). Les fenêtres de la véranda s'ouvrirent toutes seules. Nous sommes descendues sur le perron. Je n'ai jamais tremblé tant que cela. La maison qui est pourtant solide était secouée de fond en comble. Cela dura vingt à vingt-cinq minutes : une vision d'enfer que je n'oublierai jamais. On ne pouvait pas s'entendre des bruits des bombes, de la D.C.A. et surtout des avions. À chaque bombe qui tombait on voyait la gerbe de feu et l'incendie qui prenait. Je ne sais comment ils s'y sont pris. Erreur dit-on. En tout cas la première vague fit l'erreur et lança sur Bruz, les vagues successives voyant du feu là, déchargèrent leurs bombes aussi. C'était du joli. Quand tout fut fini nous sommes remontées : de la fenêtre de ma chambre Saint-Jacques flambait, Bruz flambait. On voyait le clocher de l'église illuminé comme par des projecteurs. Toute la nuit cela a brûlé. À la maison rien de cassé sauf un morceau de plafond de véranda qui est tombé. Dès la nuit même, les maires de Saint-Erblon et des communes environnantes réveillèrent les hommes et tous partirent sur Bruz mais ils ne purent entrer dans le bourg car tout flambait. Le lendemain matin nous partîmes tous aux nouvelles d'amis que nous avions là et pour aider au déblaiement..."
Mai 1944 à Pont-Péan
Ninette a vingt ans. Dans la nuit du 7 au 8 mai, c'est du perron de la Clôture qu'elle assiste au bombardement du bourg de Bruz. On pense aussitôt à un raid anglo-américain, mais les avions sont des quadrimoteurs Lancaster de la Royal Air Force.
Trois semaines plus tard, le 28 mai, Ninette écrit à sa cousine Thérèse. L'aéroport de Saint-Jacques-de-la-Lande a été bombardé dans la nuit…
Les bombardements de 1944